[deutsche Übersetzung: weiter unten]

Jeunesses de Traumfreund

La Psychiatrie, donc. De toutes les branches de la médecine, c’était pourtant celle qui paraissait la moins à même de lui apporter des certitudes ou la garantie d’une efficacité pratique. L’usage des neu¬roleptiques commençait tout juste à se répandre. On bricolait des classifications afin de lutter contre la peur de l’inconnu. Mais du moins ces études s’efforçaient-elles de penser l’équilibre de l’esprit, qui préoccupait infiniment plus Joachim que la vie du corps. Et la discipline était jeune : tout en ayant déjà acquis ses lettres de noblesse, elle ne vivait pas dans la terreur des Anciens. Les grands pionniers, d’ailleurs, méritaient pour certains plus de colère que de respect. Traumfreund s’en rendit compte très vite : l’avenir qu’il s’agissait d’inventer pour cette science devrait se situer aux antipodes de son présent. Lors de ces premiers stages en hôpital, la psychochirurgie avait le vent en poupe. On lui apprit à recourir massivement aux élec-trochocs. La meilleure méthode pour sectionner les fibres nerveuses reliant les lobes préfrontaux au reste du cerveau ? Je vous le donne en mille et en quatre syllabes. Lo-bo-to-mie. Dire que Egas Moniz avait eu le Nobel pour cette invention-là ! Et les injections scléro¬santes. Les comas à l’insuline. Tout pour éviter que les malades ne s’agitent. Pour beaucoup de psychiatres de l’époque, la réduction de l’intelligence de l’individu était un facteur important du processus de soin. L’essentiel était de mettre fin aux symptômes. Les étudier ? Les comprendre ? ? Jeune homme, quand vous serez dans le métier, vous verrez que malheureusement on ne peut pas s’offrir ce luxe. Et puis, entre nous soit dit : l’intelligence, en règle générale, c’est le malheur de la conscience. Il était déconseillé d’écouter les schi¬zophrènes, interdit de leur répondre : ça ne pouvait qu’encourager leur délire. Pinet leur serinait ça, le vendredi matin, dans des amphis trop petits où flottaient de curieuses odeurs de formol. La plupart des étudiants hochaient la tête d’un air approbateur.

« Psst ! – moi ? – Oui, toi. Tu cherches un terrain de lutte ? une grande cause ? – Euh, ça dépend, vous me la faites à combien ? – Ça dépend. T’es plutôt quoi ? – Eh bien, ce que je voudrais, en fait, c’est un combat dont la justesse ne fasse pas de doute, vous voyez… c’est être sûr de me rendre utile. – Ouais ? Bah ouais, alors, j’vais te dire ouais. J’en ai pas sur moi, là, mais viens mardi, je verrai ce que je peux faire pour toi. » Il n’avait pas mis longtemps à rejoindre les rangs des contestataires. On ne pourrait pas prétendre vivre en démocratie tant qu’on n’aurait pas ouvert les asiles et réformé de fond en comble les prisons. Vous, là-bas! N’oubliez pas l’A.G. de ce soir ! On a besoin de tout le monde ! Ça commençait à dix heures, et ne finissait jamais avant quatre heures du matin. Le lendemain, on tombait du lit sitôt que possible pour distribuer le tract. Tu as vu ça ? Cet enfoiré de Chagas ! Il a fait exprès d’oublier la virgule. J’avais expliqué à peu près trois quarts d’heure pourquoi il fallait cette virgule. On avait voté pour ! Il y avait des groupes de réflexion où on retournait surtout à cause de cette fille, là-bas, moulée dans ses jeans, qui avait une façon charmante de montrer le poing et trans¬formait l’indignation en art plutôt plastique. « Joachim, s’il te plaît ! Joachim, on a bien réfléchi, déconne pas : lors du sit-in, cette nuit, t’as mille fois l’occasion de te la taper ! – Cette nuit ? Mais c’est au ministère, cette nuit. – Bah oui. – Vous voulez que je fasse ça dans le hall du ministère ? – Bah c’est un endroit comme un autre. – Il est ultra-pratiquant, le garde des Sceaux, j’vous rappelle. Catho-catho¬catho. – C’est pas si grave, mec, on te prêtera des capotes. » Mais le plus souvent, l’épopée étouffait l’idylle : Toules s’était révoltée, puis Mérogênes et, en plein mois de janvier, par moins quinze, ils étaient venus soutenir les prisonniers réfugiés sur les toits. Les jour¬nalistes se les pelaient et grommelaient contre cette bande d’anar¬chistes ; les types d’extrême droite encerclaient lentement la place, munis de barres de fer. La police n’avait pas l’intention d’intervenir. Qu’ils règlent ça entre eux, maintenant. Il s’était hissé sur le toit d’un camion et avait lu, au milieu du bordel, leur texte dénonçant les conditions d’incarcération, la promiscuité, les suicides, l’usage massif des tranquillisants. Nous en appelons à tous les témoins gênants de l’enfer carcéral : que se rassemblent les psychiatres, psy¬chanalystes, gardiens, anciens détenus. Leur parole rendra les murs des cellules transparents. La société n’a pas le droit de détourner les yeux de l’exclusion qu’elle produit. Sa voix se brisait à force de crier, il se sentait déborder de colère, et une boule âcre se formait dans sa gorge devant l’étendue des résistances, la force d’inertie, l’indifférence redoublée de mauvaise foi.

Cet hiver-là… l’année suivante… ils avaient eu quelques succès. Au fil du temps, toutefois, il avait pris conscience que cette bataille aussi se livrait dans l’aigreur. Il était loin de partager toutes les convic¬tions de ses compagnons de lutte. Beaucoup portaient en eux un terrorisme latent : qui ne nous suit pas jusqu’au bout est un traître. Dès qu’il avait commencé à émettre des réserves, à dénoncer une complaisance, à rappeler qu’ils devaient avant tout parvenir à rendre aux malades le contrôle d’eux-mêmes, il s’était vu rejeter du côté des bourgeois. Tu ne comprends donc pas que le contrôle de soi fait le jeu du système ? Petit à petit, il en avait eu marre de ceux qui rivali¬saient de pureté gauchiste et se montraient, quoi qu’ils en disent, si avides d’être les grands rédempteurs qu’ils ne pouvaient se contenter de remettre en cause la vieille psychiatrie, mais se sentaient tenus de dénoncer du même élan toutes les misères du monde, de faire rendre gorge à tous les oppresseurs, au méga-goulag capitaliste qui couvrait de son ombre l’Occident tout entier. À leurs yeux, la schizophrénie n’existait pas, et Bleuler, ce fasciste, avait inventé cette baudruche pour obtenir de tous un conformisme total – alors sans doute, la notion était trop vague et servait à cautionner des dérives dangereuses, mais était-ce une raison pour tout foutre par la fenêtre ? Pouvait-on vraiment dire que tous les fous étaient des dissidents politiques ? Tout criminel un artiste qui s’ignorait ? Est-ce qu’on servait vraiment la cause en affirmant que les entreprises étaient des prisons, les écoles des prisons, les familles des prisons ? Parmi les contestataires, certains en voulaient tellement à leur papa et au pouvoir qu’ils auraient été bien en peine de l’exercer, même si on leur avait donné l’occasion d’appliquer intégralement leur pro¬gramme. Traumfreund en avait vu, parmi les plus brillants, refuser des responsabilités de crainte qu’on les dise récupérés par le système. En se promenant dans les rues, il avait des rêves éveillés de mani¬festations où il se trouvait pris entre deux feux, la barricade d’un côté, les rangées denses de casques et de boucliers de l’autre – et… aïe, aïe : aucune rue transversale pour s’enfuir. Où allait-il trouver la force de poursuivre la lutte ?

© Vincent Message


Die Jugend von Traumfreund

Die Psychiatrie also. Von allen Fachrichtungen der Medizin war sie doch diejenige, die am wenigsten dazu geeignet erschien, ihm Gewissheiten oder eine Garantie auf praktische Wirksamkeit zu geben. Der Gebrauch von Neuroleptika begann sich gerade zu verbreiten. Man strickte Klassifikationen, um die Angst vor dem Unbekannten zu bekämpfen. Aber wenigstens ging es in diesem Studium um ein Konzept vom Gleichgewicht der Seele, was Joachim unendlich mehr interessierte als das Leben des Körpers. Und die Disziplin war noch jung: Sie hatte schon ihren Adelsbrief, stand aber nicht im Schatten der älteren. Manche der großen Pioniere verdienten allerdings mehr Zorn als Respekt. Das war Traumfreund sehr bald klar: dass man für diese Wissenschaft eine Zukunft erfinden müsste, die genau das Gegenteil ihrer Gegenwart wäre. Als er seine ersten Praktika im Krankenhaus machte, war die Psychochirurgie im Aufwind. Man lehrte den massiven Einsatz von Elektroschocks. Was ist die beste Methode, um die Nervenbahnen zwischen den Frontallappen und dem Rest des Gehirns zu kappen? Vier Silben, dreimal dürfen Sie raten! Lo-bo-to-mie. Und für diese Erfindung bekam Egas Moniz den Nobelpreis! Und die Verödungsinjektionen. Die Insulinschocktherapie. Man tat alles, um die Kranken ruhigzustellen. Für viele Psychiater jener Zeit war die Verminderung der Intelligenz ein wichtiger Faktor der Therapie. Entscheidend war das Verschwinden der Symptome. Sie erforschen? Gar begreifen?? Junger Mann, wenn Sie erst einmal voll im Berufsleben stehen, werden Sie sehen, dass man auf diesen Luxus leider verzichten muss. Und unter uns: Die Intelligenz ist in der Regel das Unglück des Bewusstseins. Ihm wurde abgeraten, Schizophrenen zuzuhören, und verboten, ihnen zu antworten: Das würde sie nur in ihrem Wahn bestärken. Es war Pinet, der ihnen das eintrichterte, freitagmorgens, in zu kleinen Hörsälen, in denen es seltsam nach Formalin roch. Die Mehrzahl der Studenten nickte zustimmend.

„Pssst!“ – „Ich?“ – „Ja, du. Brauchst du’n Kampfgebiet? Für ‘ne große Sache?“ – „Na ja, kommt drauf an. Was kostet mich das?“ – „Kommt drauf an. Wie bist du denn drauf?“ – „Also, im Grunde hätte ich gern einen Kampf, an dessen Berechtigung nicht zu zweifeln ist, verstehst du … Ich möchte sichergehen, zu etwas nutze zu sein.“ – „Echt? Na dann weiß ich was für dich. Ich habs nicht dabei, aber wenn du Dienstag kommst, schau ich, was ich für dich tun kann.“ Er brauchte nicht lange, um sich der Protestbewegung anzuschließen. Man kann doch nicht behaupten, in einer Demokratie zu leben, so lange die Irrenanstalten noch nicht geschlossen und die Gefängnisse nicht von Grund auf reformiert sind. He, ihr! Vergesst nicht die AG heute Abend! Wir brauchen jeden Einzelnen! Das begann um zehn und endete nicht vor vier Uhr morgens. Am nächsten Tag kroch man so früh wie möglich aus dem Bett, um die Flugblätter zu verteilen. Hast du das gesehen? Der vertrottelte Chagas! Das Komma hat er absichtlich vergessen. Ich hab ihm eine Dreiviertelstunde lang erklärt, warum das Komma da stehen muss. Wir haben sogar drüber abgestimmt! In manche Arbeitsgruppen ging man vor allem wegen dieses Mädchens in den engen Jeans, das so reizend die Faust ballen konnte und die Empörung in eine Art Ausdruckstanz verwandelte. „Joachim, bitte! Joachim, wir haben das gut überlegt, also flipp jetzt nicht aus: Beim Sit-in heute nacht hast du tausend Gelegenheiten, sie flachzulegen!“ – „Heute nacht? Im Ministerium?“ – „Na klar!“ – „Ich soll es in der Eingangshalle treiben?“ – „Eh, das ist ein Ort wie jeder andere.“ – „Du vergisst, dass der Justizminister ein Erzkathole ist und ständig in die Kirche rennt!“ – „Nimms nicht so tragisch, Alter, wir leihen dir Präser.“ Meist fiel die Idylle jedoch dem Heldenepos zum Opfer: erst die Revolte in Toules, dann die in Mérogênes, mitten im Januar eilten sie bei minus fünfzehn Grad den Gefangenen, die sich auf die Dächer geflüchtet hatten, zu Hilfe. Die Journalisten froren sich die Eier ab und schimpften auf die Anarchistenbande; die Typen von der extremen Rechten kamen mit Eisenstangen und kreisten langsam den Platz ein. Die Polizei hatte nicht vor einzugreifen: Sollten die das doch unter sich ausmachen. Er war auf das Dach eines Lastwagens geklettert und trug mitten in dem Tohuwabohu ihre Anklage gegen die Haftbedingungen, die Überbelegung, die Selbstmorde und den massenhaften Einsatz von Tranquilizern vor: Wir appellieren an alle störenden Zeugen der Kerkerhölle, Psychiater, Analytiker, Wärter, ehemalige Gefangene: Kommt heraus. Euer Wort wird die Zellenwände durchsichtig machen. Die Gesellschaft hat nicht das Recht, die Augen vor der Ausgrenzung zu verschließen, die sie selbst produziert. Seine Stimme brach vom Schreien, er explodierte fast vor Zorn über das Ausmaß an Abwehr, die Kraft der Trägheit und die durch Böswilligkeit gesteigerte Gleichgültigkeit, und in seinem Hals bildete sich ein bitterer Kloß.

Dieser Winter … das Jahr darauf … sie hatten einige Erfolge erzielt. Allmählich jedoch war ihm bewusst geworden, dass auch dieser Kampf sich verschärfte. Er teilte keineswegs alle Überzeugungen seiner Kampfgefährten. Viele trugen einen latenten Terrorismus in sich: Wer uns nicht bis ans Ende folgt, ist ein Verräter. Als er anfing, Vorbehalte zu äußern, eine gewisse Selbstgefälligkeit zu geißeln und sie daran zu erinnern, dass es hauptsächlich darum gehe, den Kranken die Kontrolle über sich selbst wiederzugeben, wurde er als Bourgeois beschimpft. Hast du noch nicht begriffen, dass Selbstkontrolle dem System in die Hände spielt? Es ging ihm langsam auf die Nerven, dass jeder von ihnen der Revolutionärste von allen sein wollte, der große Erlöser, egal, was sie sagten; es reichte nicht mehr, die alte Psychiatrie in Frage zu stellen, sie mussten es schon mit dem ganzen Elend der Welt aufnehmen, alle Ausbeuter verjagen und Schluss machen mit diesem kapitalistischen Mega-Gulag, dessen Schatten über dem ganzen Okzident lag. Ihrer Meinung nach gab es keine Schizophrenie, Bleuler, der Faschist, hatte diesen Schwachsinn nur erfunden, um den totalen Konformismus aller zu erreichen – nun gut, der Begriff war sicherlich zu ungenau und diente als Vorwand für fragwürdige klinische Methoden, aber war das ein Grund, das Kind mit dem Bade auszuschütten? Konnte man wirklich behaupten, jeder Verrückte sei ein politischer Dissident? Jeder Kriminelle ein unbewusster Künstler? Diente es wirklich der Sache, Unternehmen, Schulen, Familien als Gefängnisse zu denunzieren? Einige Protestierer waren so böse auf ihren Papa und die Macht, dass sie es kaum über sich gebracht hätten, sie zu ergreifen, selbst wenn sie die Gelegenheit bekommen hätten, ihr Programm vollständig umzusetzen. Traumfreund hatte selbst erlebt, wie einige der brillantesten Köpfe die Verantwortung scheuten aus Angst davor, dass andere sagen könnten, das System habe sie eingeholt. Wenn er durch die Stadt spazierte, hatte er Wachträume von Demonstrationen, wo er zwischen den Fronten stand, auf der einen Seite Barrikaden, auf der anderen Helme und Schilde in dichten Reihen – und … zu Hilfe! nirgends eine Seitenstraße für die Flucht. Wo sollte er die Kraft hernehmen, weiter zu kämpfen?

 


© Deutsche Übersetzung: Brigitte Große

 

1 Kommentar

  • Kim Kino

    mich würde interessieren, wie es zu dem Namen Traumfreund kam, der ja auch im französischen Original vorkommt….Als deutschsprachiger Leser hat man ja sofort eine Menge Assoziationen mit einem Psychiater namens Traumfreund….

Hinterlasse eine Antwort

Deine E-Mail-Adresse wird nicht veröffentlicht. Erforderliche Felder sind markiert *